Nataly Murigneux est généalogiste. Telle une archéologue qui fouille ruines et vestiges, elle creuse dans le passé des gens pour reconstituer les chemins de vie des centaines de familles qui croisent sa route. Souvent des « dossiers » qui atterrissent un matin, généralement suite à un décès, sur le bureau de son étude, Benjamin l’Ainé Généalogie, situé dans l’Essonne (benjaminlaine.fr). « Dis-moi d’où tu viens et je te dirai qui tu es » pourrait être son credo. Rencontre avec une passionnée d’histoire(s).
Comment avez-vous découvert la généalogie ?
C’est à l’âge de 28 ans, au décès de mon grand-père, que la généalogie a bousculé mon destin. Depuis, ma curiosité n’a eu de cesse d’augmenter. Aujourd’hui, je suis devenue une véritable machine de guerre administrative !
Quel est votre parcours généalogique ?
Je suis une passionnée de généalogie. A la base c’était plutôt un passe-temps, mais cela a très vite pris le dessus et est devenu mon métier à part entière. Jeune, je faisais principalement de la généalogie familiale, à titre bénévole pour les clubs de généalogie et les amis. J’ai continué mon chemin en donnant des cours dans des associations, pour aboutir à une certaine maîtrise du métier et une très bonne connaissance des archives et de leurs trésors. Mon ambition à terme était d’intégrer une étude de généalogie successorale. J’ai ensuite envoyé des CV dans plusieurs études et j’ai fini par décrocher le job tant espéré. Depuis j’ai monté ma propre structure en 2011.
Vous diriez que la généalogie est votre métier ou votre passion ?
Sans hésitation ma passion… et c’est devenu mon métier plus tard. J’ai eu la chance d’avoir pu faire de ma passion mon métier. C’est une activité complète et variée, qui va de la recherche d’héritiers à la recherche foncière, en France et par le monde. Je ne suis pas tombée dans la routine. La généalogie me passionne toujours autant, au point de continuer mes recherches personnelles lorsque le temps me le permet. D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours traîné dans les mairies, ma fille dans sa poussette, dans les cimetières, dans les archives…
Qui vient voir une généalogiste ?
En réalité je travaille principalement avec des notaires dans des cas de succession incomplète. Les notaires me contactent lorsqu’ils ont besoin que je vérifie une dévolution (passage de droits héréditaires au degré subséquent par renonciation du degré précédent ou à une ligne par extinction de l’autre, ndla), que je recherche des héritiers lorsqu’ils ne sont pas connus, que je retrouve un titre de propriété manquant ou la descendance de propriétaires fonciers décédés. C’est une véritable prestation sans laquelle les notaires ne pourraient pas rédiger certains actes. Dans le cas d’une recherche totale d’héritiers, on recherche jusqu’au sixième degré… Au-delà, c’est l’Etat qui reprend le flambeau. Une fois les héritiers retrouvés, on leur envoie ce qu’on appelle un contrat de révélation et une procuration pour les représenter tout au long du déroulement de la succession.
Avez-vous l’impression d’être parfois une espionne ?
(rires) Pas une espionne… Mais je m’identifie plus à Agatha Christie, le crime en moins ! Comme elle, nous menons des enquêtes. Nous croisons des gens avec leur sensibilité, leurs histoires, leurs blessures… Nous débarquons avec beaucoup d’empathie et de respect dans leur vie. Nous devons prendre des gants alors même que parfois nous en savons plus sur eux qu’ils ne peuvent l’imaginer… Il ne nous faut surtout ne jamais juger, parfois nous devons dédramatiser. Quand ils sont blessés nous leur expliquons pourquoi, au regard du contexte de l’époque, leurs ascendants ont pu agir de telle manière, leur faire comprendre qu’ils ne sont pas un cas isolé. Les gens sont parfois froids au début, puis s’ouvrent peu à peu quand ils comprennent que nous savons rester à notre place dans leur histoire. La confiance mutuelle s’installe. Mais pour autant, on ne peut pas tout leur dire ! Il y a indéniablement des secrets que nous ne pouvons leur révéler. Certains dossiers nous poursuivent comme cette histoire de trois enfants placés à la DDASS à qui nous venions apprendre l’identité de leur mère, mais également son décès. Ils ont eu la « chance » de pénétrer chez elle lors de l’inventaire après décès, mais elle n’était plus là pour leur ouvrir la porte. Parfois, comme dans ce cas précis, je garde contact et une amitié se créée.
Quels sont vos moyens en général?
Ils sont essentiellement administratifs. Nous disposons de dérogations pour avoir accès aux états civils mais nous manquons cruellement de moyens plus performants comme d’avoir la possibilité de consulter les informations de type impôts, sécurité sociale, caisse de retraite, CAF… ces services nous aideraient énormément surtout pour localiser certains héritiers bien cachés. Pour cela nous essayons de faire nous-mêmes nos propres contacts ! Mais c’est de plus en plus difficile.
Avez vous des particuliers qui frappent à votre porte ?
Oui, il arrive régulièrement que des particuliers me contactent au nom d’un notaire pour les missions habituelles ou à titre privé lorsqu’ils souhaitent avancer dans leurs recherches. J’ai aussi régulièrement des personnes qui ont grandi à DDASS, ou qui ont perdu contact avec un proche, et qui recherchent des informations sur leur passé.
Vous m’avez confié avoir réalisé votre propre arbre généalogique… jusqu’à quand êtes-vous remontée ?
1490 ! mais comme je n’ai pas la chance de pouvoir me raccrocher sur des ancêtres nobles, je suis au maximum de certaines branches. Par exemple en 1490, ce qui est déjà un exploit, l’information sur l’acte de mariage est quelque chose du genre « Pierre a épousé Marie » sans aucune autre indication ! Je suis par ailleurs très fière de mon ancêtre bagnard… le pauvre avait juste volé un morceau de pain pour nourrir ses enfants mais comme il avait récidivé, il a été envoyé à Cayenne. Il n’en est jamais revenu. J’ai aussi dans mes ancêtres un prénommé Louis Faraboeuf qui est l’inventeur de l’écarteur chirurgical en médecine. Puis j’ai découvert ce qu’on appelle une « chaîne » en psychogénéalogie : je suis issue d’une suite ininterrompue de quatre couples divorcés … C’est vous dire la pression que j’ai à casser cette chaîne et inverser la tendance. Au nom de mes enfants, je n’ai pas le droit à l’erreur !
Est-ce qu’être généalogiste donne un sentiment de « devoir » envers ses générations passées ?
Non je dirais que c’est plus un jeu, une curiosité qu’un sens du devoir… A chaque nouvel ancêtre, à chaque nouvelle génération, on gagne un point, on devient addict, c’est sans fin puisqu’il n’y a pas de fin. Mais à terme, on ne s’identifie plus à eux, on en arrive à oublier que l’on détient leurs gênes. Au bout de cinq ou six générations, ils font plus partie de notre arbre que de notre vie. On sait qu’on leur doit la vie, c’est tout… et ils deviennent alors le support de la petite histoire dans la grande histoire. Les vêtements, la nourriture, le climat, les maladies, les vieux métiers, le contexte politique…. On ne peut pas être généalogiste sans être aussi passionné.e par l’histoire de France et des Français.
Quel métier passionnant que de pouvoir éclairer les individus sur leurs racines, même si elles sont parfois complexes et lointaines. Nataly, votre passion est notre lanterne !
Carine Dany