C’est sous une pluie battante que j’attends mon interview du jour. On m’a dit de lui qu’il était furieusement talentueux… Mais rien ne m’avait préparé à cet échange bouleversant, entre retenue et aveux, entre soleil et tempête.
Hadrien Raccah est devenu la plume de bon nombre d’acteurs et humoristes dont l’actualité explose en ce moment. Il écrit à la vitesse de ses angoisses, à la fureur de sa faim de vivre et de témoigner, à la douceur des souvenirs de son enfance. Modeste mais formatrice. Il est l’homme de l’ombre autour de qui gravite la lumière de monstres charismatiques, qui veulent jouer avec et, de ses mots.
Bonjour Hadrien, vous êtes l’auteur de bon nombre de pièces à l’affiche actuellement, comme L’invitation ou le seul en scène d’ Eric Dupond-Moretti. D’où vous vient votre passion de l’écriture ?
Au départ, ce n’est pas une envie d’écrire pour les autres. J’avais quinze ans, tout était gris, je m’ennuyais… et puis je suis tombé sur un film qui à bousculé ma vie à jamais « Un tramway nommé Désir » avec Marlon Brando. Le moment incroyable où il hurle à Vivien Leigh « Eh Stella » a provoqué en moi quelque chose de puissant. J’ai eu envie de m’échapper de cette vie dénuée d’intérêt. Et puis petit à petit cette passion est devenue une obsession. Je louais des films, je passais mes journées à les regarder dans les vidéos clubs, jour après jour. Enfin, je décide de devenir acteur !
Comment avez-vous réussi à franchir le pas ?
En vérité, je ne peux pas dire que j’ai beaucoup travaillé à l’école, j’étais plutôt un élève dissipé et solitaire. Mais un jour, mon professeur de français m’a fait lire l’une de mes rédactions devant toute la classe. Je me souviens qu’elle terminait par quelque chose comme « tout ce que je viens de vous raconter n’est que le récit de ce que ma mère m’a raconté elle même ». En faisant cela, mon prof m’a expliqué que j’avais la lucidité de l’écrivain et que cela me mènerait loin.
Quelques années plus tard, j’ai vécu un autre temps fort : mes parents m’ont offert une semaine de stage de théâtre juste avant la reprise des cours à la fac. C’était un moment de ma vie où j’étais très mal dans ma peau, habité par une irrépressible colère. Mais le jour de l’audition le directeur du casting m’a lancé que j’avais quelque chose qui ne s’apprend pas et que ma place était sur scène. Je crois que cette étape a été décisive. Cela m’a poussé à croire en moi. Et puis tout est allé très vite. J’ai continué d’écrire même pendant mes petits jobs d’étudiants. Quand j’ai obtenu le Prix d’encouragement du ministère de la culture, j’ai pu monter une pièce et la jouer au bout d’un mois et demi, c’était magique!
A partir de là, je travaille comme un fou, pièce après pièce. C’est aussi un moment où je me heurte à l’amour de manière incommensurable. Je tombe follement amoureux d’une Brésilienne. Pour la première fois de ma vie je trouve que la vie est plus belle que l’imaginaire, que je n’ai pas besoin de créer ce dont j’ai envie. Mais au bout de quelque temps notre histoire se termine. Quelque chose se brise en moi. Je rentre du Brésil en état de grande détresse émotionnelle et je mets longtemps à guérir. Je ressens le besoin de retourner à ma vie d’acteur, j’enchaîne les petites pièces sur Paris mais elles sont loin de mes attentes. A 28 ans, je ne me sens pas à ma place, je suis épuisé.
Heureusement, le destin me joue un joli tour… (sourire) Alors que nous jouions, un ami et moi, en première partie d’un humoriste, sa femme vient nous chercher à la fin du show pour nous inviter à sa table. Parmi les invités, le comédien Philippe Lellouche. Je me rappelle que je les regardais tous, terriblement désireux de faire partie des leurs. Lui ne pouvait pas s’imaginer la tragédie que je vivais à l’époque. Mais il s’approche de moi et me demande ce que je fais en ce moment. Je lui dis que j’écris. Il semble intéressé. Je ressors de ce restaurant la gorge nouée et des rêves d’espoirs plein la tête. Alors, sans perdre une seconde, dans la nuit même, je lui envoie une pièce que j’avais écrite quelques temps plus tôt. Le lendemain matin, le téléphone sonne : c’était Philippe! Grâce à ce coup de fil, ma vie d’auteur a démarré. Mais aussi une vie d’amitiés, d’amitiés sincères et fortes entre hommes, avec Gad Elmaleh, Gérard Darmon, Eric Dupond-Moretti… Pour la première fois dans ma vie, à leurs côtés j’avais l’impression d’être à ma place !
J’ai le sentiment que vous n’appartenez pas à notre époque. Vous êtes plus jeune que tous les hommes pour lesquels vous écrivez et, depuis votre enfance, vous semblez être attiré par des acteurs d’une autre génération. Comment l’expliquez vous ?
Oui c’est vrai, j’aime cet autre temps, cette façon d’être un homme. Je me souviens que mon père avait ce rôle de protecteur très ancré, à la façon d’un Lino Ventura. J’aime cette image de l’amitié entre hommes, de copains attablés en train d’écrire et de parler toute une nuit. A trente ans, j’ai rencontré une deuxième famille. On partage tout, ils m’ont tendu la main, aidé à croire en moi.
En plus des pièces de théâtre, vous sortez un roman, « Huit mètres carrés », aux éditions Michel Lafon. Cela doit être excitant ?
Ce roman, je l’ai commencé à une période de ma vie où j’étais dans l’obligation d’écrire, j’avais faim! Littéralement je n’avais pas un sou en poche. Mais écrire un roman ce n’est pas la même chose que d’écrire une pièce. Pour la pièce L’invitation, c’est de la pure observation. Car on a tous connu une personne infidèle, qui enregistre son amant ou sa maîtresse sous un faux nom. Mais impossible d’utiliser le nom d’un véritable ami… Cette solution crée forcément des soucis, parce qu’un jour, le mari en question veut rencontrer cet ami imaginaire… Les gens rient beaucoup !
Comment l’acteur que vous êtes vit-il l’idée que ses textes soient joués ?
Je crois qu’il est fier, qu’il regarde les acteurs avec délectation sans vraiment se poser la question de savoir s’il a envie d’y retourner, sur scène. Je n’ai aucun sentiment de frustration. Les comédiens sont tellement magiques que j’ai plutôt le sentiment d’avoir une énorme chance de côtoyer ces gens aussi humains que talentueux.
La pièce d’Eric Dupont Moretti cartonne. Comment sa vie vous a-t-il inspiré ?
Tu ne peux pas comprendre Eric Dupond-Moretti, si tu ne connais pas la vie d’Eric Dupond-Moretti. Sa mère était femme de ménage, son père est mort alors qu’il avait quatre ans, son grand père a été assassiné ! On a retrouvé son corps sur les rails d’un chemin de fer, et l’affaire fut classée sans suite. Comment se construire avec ca ? C’est de là qu’à pris racine en lui ce puissant sentiment d’injustice. Eric est un enfant d’immigrés italiens, et son seul en scène est bourré de retours à ces moments d’injustice et d’indignation.
Y a t-il une autre personne pour laquelle vous aimeriez écrire ? Un homme encore j’imagine ?
Je dirais Pierre Arditi, j’adorerais travailler avec lui. Et oui c’est vrai j’aurais du mal à écrire pour une femme, car je ne les comprends, pas je l’avoue… Jacques Brel, mon idole, disait : « j’aime trop les femmes pour les aimer vraiment … » ( Sourire)
En attendant d’écrire peut-être un jour pour une actrice, Hadrien Raccah continue de briller dans l’ombre de ses comédiens fétiches, qui, sur les planches, font danser le fantôme de Marlon Brando.
Son actualité :
L’INVITATION au théâtre de la Madeleine, jusqu’au 2 janvier 2020
Eric Dupond-Moretti A LA BARRE, au théâtre de la Madeleine, du 17 au 21 décembre 2019, les 3, 4 et 5 avril 2020 salle Pleyel en tournée en France, Belgique, Suisse, Etats-Unis et Canada
HUIT MÈTRES CARRÉS, roman aux éditions Michel Lafon, sortie le 14 novembre 2019
Carine Dany