Dans un précédent ouvrage, À toi, ma fille, Cécilia Dutter donnait des conseils de vie à son aînée qui allait entrer dans sa majorité. Dans La Loi du père (les éditions du Cerf), c’est elle la fille. Elle revient sur ses rapports toxiques avec l’auteur de ses jours pour poser une question existentielle : comment devenir femme, épouse, mère quand on a grandi sous l’autorité tyrannique d’un homme ?
Pour quelle raison parler aujourd’hui de cette blessure d’enfance qu’a été la vie aux côtés de votre père ?
À travers ce récit-témoignage intime, j’ai souhaité tendre la main à la petite fille éplorée qui se cache encore parfois sous la carapace de l’adulte et relire mon histoire familiale douloureuse, marquée par la figure d’un père tyrannique aujourd’hui décédé, la comprendre en profondeur et la réinterpréter à la lueur de la maturité de la cinquantaine. L’idée n’est pas ici de faire le procès de mon père mais d’ouvrir une réflexion sur les relations délétères père-fille et, plus largement, les violences intra-familiales et conjugales dont j’ai été témoin, enfant.
Pour autant, si cet ouvrage s’inscrit dans le mouvement de libération de la parole féminine, loin de la victimisation, il est le récit d’une résilience, relatée pas à pas. Derrière la violence des situations décrites, il retrace un parcours de réconciliation avec mon passé, de reconstruction et de pardon, en mettant l’accent sur la capacité de chacun à trouver des forces propres pour se sauver soi-même.
Avant de connaître la résilience, par quelles phases êtes-vous passée, dans cette relation si chaotique ?
Face à ce père au tempérament despotique, colérique et cyclothymique, qui pouvait passer en un instant de la gentillesse à une très grande violence, la toute jeune enfant que j’étais a d’abord été dans une forme de fascination. Puis, très vite, dès que j’ai su raisonner, c’est la rébellion qui m’a habitée. Plus tard, j’ai tout fait pour m’émanciper de ce père omnipotent dont je n’acceptais plus la loi. Puis, j’ai organisé la scission : la femme, et bientôt l’épouse et mère que je suis devenue, a ressenti le besoin de s’éloigner de lui pour construire sa propre famille et transmettre à ses deux filles un tout autre modèle. Enfin, après la mort de mon père, je suis passée par une période de crise. Les blessures et la colère soigneusement niées jusqu’alors sont soudainement remontées à la surface, ce qui m’a plongée dans une très grande fragilité. Je pleurais, non pas sur l’absence de mon père mais sur la petite-fille de jadis que je n’avais jamais pris le temps d’écouter et de consoler.
De quelle manière êtes-vous finalement parvenue à l’apaisement ?
Pour ne pas sombrer, j’ai puisé dans mes propres ressources et dans ma foi en Dieu. Le Père céleste est venu réparer les erreurs de ce père terrestre défaillant en m’aidant à saisir le rôle essentiel du pardon pour aller mieux. Et puis j’ai découvert que mon père avait souffert lui-même, durant son enfance, à travers ses relations avec sa mère. Cela m’a permis de comprendre son comportement et, non pas de l’excuser, mais de lui accorder ce fameux pardon guérisseur.
C’est donc à la fois un livre de sagesse et d’enseignement ?
J’ai construit ce récit de manière chronologique et l’ai structuré autour des différentes phases qui ont jalonné mon parcours. J’invite ainsi le lecteur à me suivre tout au long de cette traversée, de l’angoisse la plus noire à la paix retrouvée. Si mon expérience peut aider certaines personnes, tant mieux.
Pensez-vous que le rapport qu’a entretenu une fille avec son père conditionne son rapport aux hommes ?
Sans doute en grande partie. Dans le cas d’une relation toxique, si cette fille n’entreprend pas un travail sur elle-même afin de ne pas projeter ses peurs sur la gent masculine en générale, sa vie intime et sentimentale risque de sérieusement en pâtir. Il ne s’agit pas forcément d’un travail analytique mais de se pencher courageusement sur son histoire pour comprendre les raisons qui ont présidé à certains comportements paternels ainsi que les conséquences désastreuses qu’ils ont eus sur la famille. Nos parents portent également de lourds bagages hérités de leur enfance qu’ils nous lèguent inconsciemment.
C’est votre histoire que vous racontez dans ces pages mais, au fond, votre récit très personnel ne revêt-il pas un caractère universel ?
C’est précisément pour cette raison que j’ai voulu écrire ce livre. Si je dévoile ici des secrets de famille, j’ai essayé de le faire sans voyeurisme, dans une dimension curative à destination de tous ceux qui ont vécu ou été témoin de violences intrafamiliales, leur dire que rien n’est jamais fermé et que l’on peut dépasser ces traumatismes.